L’Athémiste

Elle se promène, étendue à l’arrière d’un voeu, la tête relevée pour se voir. Son Dieu a une barbe qui pique: le happant, elle s’expose à fondre, se peint les yeux de bleu pour se defendre.

A la croisée des jambes, haletante elle se boit: tout abandon sera à la remorque. Superposant adages, loupes, valises de sifflements incertains. Dans le parallèle répétant l’aube, elle retrouve le rythme de son sang.

Certains mots sont pour elle à étudier: que l’on emploie sans savoir. Rosée perlant à son doigt, elle sait les naissances rares.

Elle s’appuie, tant qu’elle peut, sur l’alternance de lumières que son corps sent; éprouvée par l’âge, elle veille ou veillera tant qu’à son corps adhéreront couleurs, lueurs et parfums comme sable sur peau huileuse. Après, certains regroupements, dictés d’ailleurs, rayonneront.

Silencieuse, elle hume mon plaisir, les jambes pliées comme en prière, penchée. Elle sait que derrière elle des ombres s’amassent, informe armée de mémoire, alors même qu’elle m’aime: dans l’acte. Quand je me lève, elle retombe.

A l’injonction de mon amen, elle se recroqueville, s’enroule autour de moi et resserre ses anneaux lentement. A la honte, elle répond l’heure.

Elle s’oppose à ce que l’imagination déborde: en général, elle s’oppose à tout ce qui prétend s’étendre sans lui rendre hommage: à elle, à ce qu’elle contient tout autant. Elle aime quand je lui montre que mes mots, s’enchaînant les uns aux autres, font un arbre aux racines profondes. De certains jeux, elle prétend que j’exagère. A certains mots, elle pâlit et se signe.

Quand je me raidis, elle sait me tenir jusqu’à ce que s’effacent les socles de tout retour: les hampes de mon ardeur. Elle partage.

Elle a su multiplier les chutes, défilement en pluie glissant derrière les vitres, afin de se garantir contre moi: contre ce qu’en moi je rêve d’arracher.

Elle défigure ce qui menace, tout ce qui s’approche dans un but. Le monde dehors est tout ce qu’elle refuse, c’est une femme d’intérieur: à l’aube, cependant, en bordure. Ne comble pas le vide, le sanctifie.

Elle a repris, des quelques siècles qui ont passé depuis, l’enchantement du regard: à formes évolutives, en succesion de styles gravés à sa poitrine, lignes mouvantes qui retracent, infiniemet, les schèmes de tout changement. Elle prend garde de n’en libérer aucun des croyances y fleurissant: ses préférées, elle les estime rempart.

Echangeant sans complexe son voile pour un mystère plus lumineux, elle dédale dès qu’on la touche.

Parfois, elle veut que je la laisse seule. Alors je me gratte jusqu’à ce que croûte, je transfère mon poids vers mon visage enfoui, j’élimine tout ce qui passe à ma portée. Elle, je l’entends au loin: chaque bruit qu’elle fait, poursuivant je ne sais quelle aurore ou acmé, quelle mort, chaque bruit pour moi est remord, refus, elle m’en repousse et je m’enfonce, plus loin, dans un quadrilatère boueux que je m’imagine, sans qu’elle en sache rien.

Elle a part à tout meurtre, à tout accouchement. Douleurs qui la maintiennent, à travers pans de lumière ceignant l’heure, tapie chez moi plus que sa part du jour. Le reste est répétition, rêve entretenu, pour ce qu’en rêver donne, d’un départ.

Se fend: mince au ventre, pli qui se révèle béance lorsque s’élève. Elle est autant que moi renoncement.

Alors que le souvenir s’amorçait, un jour, elle est partie à d’autres rencontres: j’ai récupéré, dans les plus de ses vêtements au matin, la vision d’une colline pas latine, au sommet de laquelle, par parcs et jardins, s’ébattent, et les écoliers revanchards, et les nymphes parentales: la nuit, violentes bacchantes acclamées par la foule des enfants affamés. Elle affirme ne se souvenir de rien.

Aussi, je l’ai déjà vue s’effondrer: elle en profite. Elle se tient au-dessus de moi au réveil, attendant que je m’inquiète pour montrer ses dents blanches, vierges de mon cou. Elle sait que j’abonde de dégoûts.

Elle éloigne de moi ce qu’elle croit apte à me tenter. Elle a des idéaux qui m’échappent: j’en devine, parfois, quelqu’ombre: foisonnante d’ensorcellements, sans nul doute défensifs, bordés de globes venimeux, de tresses urticantes, puis, plus loin, entr’aperçue dans le jeu de lumière, la masse, encore carapaçonnée d’onguents et de fils d’or mêlés, d’un objet que je ne peux identifier.

Certaines cérémonies l’émeuvent. Elle s’en remet à Celui qu’elle appelle ainsi. Elle me fait confiance, malgré toutes réticences possibles, pour la servir en ce désir là où j’ai porte.

Elle oublie tant qu’elle peut, renonce à penser, aux intelligences dévastatrices. Elle relie objets et organes le temps de son geste, pas plus. Elle essaye de se sentir ainsi, laisse quelque chose de plus grand l’orienter. Elle s’est prémunie contre tout ce qui ne serait pas Celui qu’elle attend ainsi.

Elle s’amenuise chaque quart d’heure, atrophiant délibérément parts inutiles de son corps. Puis je la touche elle se regonfle, m’en veut parfois, j’aime.

La répétition d’un atome en fins successives la laisse indifférente: elle aime où se replie la langue, dans la courbure du tronc, elle aime la prestance dans les chocs.

Elle rira d’affirmations toutes faites, les dents en avant, la lèvre haute: à moins qu’une harmonie dans la structure ne la charme, ne l’apaise, qu’elle s’endorme. Je joue à la balancer dans mes bras.

Elle a tout pouvoir sur moi, autant que moi sur elle. Nos querelles se vident dans le sang. L’on s’étreint comme dans l’amour, à coups de dents et d’ongles, l’on s’enserre mutuellement des jambes, l’on se heurte, l’on se déchire. Puis il nous faut, réconciliées, force salive baume à nos plaies.

En quatre pas, elle m’aura imposé son ardeur: les mains au front, guérissant l’apathie gangrenante. De l’oeil, du pied, de la joue, de l’âme, j’aurai repris danse qui progresse.

Un certain silence l’étouffe: il lui faut que la rue, que les pages des livres se tournent, en murmures. Ainsi seulement elle se blottit, ouverte. Elle projette alors inclinaisons, sceptres et maux à venir, s’amuse à en organiser les péripéties laissées latentes par le destin. J’ai l’impression que son coeur vibre.

Elle a saisi assez de veine palpitantes dans ses doigts, assez de blocs noirs emplis de sable, pour se permettre d’en nommer. Ailleurs, s’étendent certaines brûlures.

Elle refuse certains sens, n’a que faire de s’y mirer encore: trop atteints d’elle, ils s’en sont éloignés d’autant, maintenant indécelables pour tout autre que moi, séparés par un monde et un instant. Elle n’a d’envie que du vivant, du pénétrant, de l’assimilable à sa substance. J’en taquine ses extrémités.

J’aurai inversé, mis en dépendance, alors qu’elle abrupte ne fait qu’absorber, rejeter, se construisant au sein de ce qui l’entoure, sans nulle notion de liberté. Elle sait trop bien que s’infiltre en tout sa passivité fluide, que transfigure son goût tout objet.

Elle compte ainsi sans se lasser les secondes qui nous accouplent.

Elle ne se définit pas: musique, elle se répète.