Le métier du poète

(extraits de Demi-portion, recueil inédit)

À mes confrères

D’un point de vue économique, vous vendez les appâts et appeaux qu’utilisent à leur guise les publicitaires visant des segments cultivés, voire concernant ceux-ci des moments spécifiques où, croyant s’instruire ou s’informer, la cible ouvre les jambes et l’esprit tout grand. Mais vous recevez un salaire pour vos écrits, ce qui vous confère en légitimité autant davantage qu’il est supérieur au mien, puisqu’au sein du groupe qui prescrit le dividende en tant que raison d’être, ainsi se mesure la valeur des humains.

Rêverie

Il n’est pas dénué d’ironie, alors que je m’éclipse encore aujourd’hui du domicile familial afin de travailler sans avoir d’autre chose à penser, qu’assise en face de moi dans le salon d’hôtel, coiffée, maquillée, vêtue à la manière idoine se trouve, ouvrant les cuisses, de chez Pocket une éditrice essayant, c’est touchant, d’avoir l’air vieille et jeune à la fois, vieille pour faire sérieuse, jeune pour faire bonne baiseuse, deux qualités également nécessaires à son métier ainsi sans doute qu’à son identité pétrie de ce prestige de manipuler dextrement les auteurs. J’ai beau la dévisager, impossible de savoir qui se cache sous tant d’efforts ; entre le rond du rouge à lèvres et ceux des lunettes cerclées de noir, qui vous avalera.

Représentation

Un énorme insecte écrasé, collé au store en plastique blanc du salon, monte et descend matin et soir devant mes yeux. Je l’aime, de cet amour fondé sur la reconnaissance en autrui de notre fond intime, car ainsi que moi il se donne régulièrement en spectacle.

Mercantilisme

Payer pour un poème, c’est un peu comme acheter un cierge à l’église : le prix dépasse le coût de la cire ; mais semble dérisoire en regard du gain qu’on espère ; et du sentiment qui accompagne cet écot symbolique au montant normalement modique ; et surtout ça ne conditionne pas l’entrée dans le bâtiment ni l’appartenance au groupe ni (je suppose) aucun des privilèges de l’âme accomplie ; mais ça entretient les banquettes et ménage l’ordinaire du chapelain. Permettez donc que je vous offre mes bougies modelées à la main.

Masterclass

Pour écrire un poème, je prends du saucisson et du vin blanc de Savennières et puis j’attends. Le truc, pour ceux que ça intéresse, c’est qu’il faut attendre un poème et pas autre chose, sinon ben ya peu de chances qu’il en vienne un par hasard. Alors j’attends tandis que mon chien miaule derrière la porte dans l’espoir de saucisson, mais la porte fermée m’est aussi nécessaire. J’attends, les heures passent, mon verre est vide, il ne reste plus rien de mon saucisson. Les cloches de l’église ont sonné par trois fois la fin de la récréation, le jour expire : de mon côté à la menthe je suce un bonbon. Je suis prêt à passer à la présentation.